• Ressemblance

     

    J'ai présenté ce texte pour l'AT des Éditions du Petit Caveau, "Vampire malgré lui". Sans surprise, le texte n'a pas accepté. Mais c'est sans regret ! Je peux vous le mettre ici !

     

    J'en profite pour remercier les Éditions du Petit Caveau pour l'attention qu'ils ont porté à mon texte, ainsi qu'au commentaires qu'il m'ont livré sur cette nouvelle. Merci !

     


    Ressemblance

     

    Aujourd’hui, les gens s’imaginent que les vampires masculins sont de beaux et musculeux jeunes hommes tout droit sortir du collège…enfin, du lycée mais personnellement  je ne vois pas toujours la différence ; pour les femmes, qu’elles sont des hybrides entre des mante-religieuses et des stars du X. Cependant, la réalité n’a rien à voir avec cette vision fictive et très sexuelle des vampires. Il faut dire que nos aînés, les « transformateurs », tombent plus souvent sur des gens au physique banal, pour ne pas dire disgracieux, que sur des mannequins. 

    En ce qui me concerne, ma vie de vampire aurait pu être normale si, bien sûr, on peut considérer comme normale ce genre d’existence. Malheureusement pour moi, ce n’est pas le cas. Voilà le tableau.  

    Lorsque j’étais encore humain, j’appartenais au mouvement hippie : assez grand, corpulence normale, cheveux longs et barbe châtains. Mon mode de vie était basé sur l’harmonie avec la nature : manger biologique, fumer des pétards, boire un peu de bière en refaisant le monde avec mes amis autour d’un feu pendant qu’une demoiselle grattait les cordes d’une guitare. Et en plus, j’étais végétarien. Quand je suis devenu vampire, cela m’a posé quelques problèmes. Imaginez donc ! Un jeune homme, d’une trentaine d’années, avec des fleurs dans les cheveux et un collier peace&love, des lunettes rondes à verres roses, qui avait des haut-le-cœur à la simple vue du sang et qui ne mangeait pas de viande, condamné à ce nourrir, comme une bête, à la gorge de son ancienne espèce. Le drame. Et en plus, j’adorai l’ail.

    Mais ça, ce n’est pas le pire. Me concernant, il y a quelque chose d’encore plus dramatique, de bien plus humiliant pour un vampire. Je possède une caractéristique physique qui fait de mon un être un peu à part et, surtout, ridicule.

    En effet, mes transformateurs n’ont pas hésité à me scarifier avant de me changer en créature de la nuit, histoire d’empirer un peu plus mon cas. Ma particularité ne leur avait pas échappé quand ils m’ont attaqué. Et c’est surement pour cette raison que j’ai été une pauvre victime. Les vampires gardent à jamais l’apparence physique du moment de leur mort.

    Dans notre population, nombreux sont ceux qui ont des défauts physionomiques. Par exemple, le vieux John n’a plus de dent. Vous me direz que ce n’est pas bien malin de la part des aînés de l’avoir vampirisé. D’ailleurs, beaucoup ont des problèmes de quenottes : un seul croc, trois crocs ; certaines canines sont tordues, d’autres sont sur la mandibule ; parfois les dents sont trop petites ou trop longues... Il y a aussi ceux à qui il manque un membre. Mon amie Johanna, elle, n’a qu’une main. Elle galère, la pauvre, pour chopper des proies. Idem pour Gérard. Ancien surfeur, son bras s’est fait emporter par un requin en Australie. Parfois, je me demande si les vrais manchots, ce ne sont pas les vampires transformateurs qui mordent n’importe qui ! Dans le même ordre d’idée, Vanina est aveugle et Harold est dans fauteuil roulant.

    Il y a aussi tous les vampires qui ont des soucis d’ordre psychologique. C’est assez courant que les nouvelles recrues féminines soient hématophobes. Sur ce point-là, je ne dirai pas grand-chose, car moi aussi, j’ai eu du mal à me faire à la vue du sang. Toujours chez ces dames, elles sont nombreuses à ne pas supporter de ne pas pouvoir avoir d’enfants. D'autres pètent des câbles à force de vivre la nuit.

    Mais moi, mon problème, d’ordre corporel, est bien pire que tout ce que je viens de vous énumérer. Oui, bien pire, car il nuit à la fois à ma réputation de vampire et à mon intégrité physique. Il faut que vous sachiez que lorsqu’on devient vampire, on garde l’apparence du moment de notre mort. C’est pour cela que très souvent, mes semblables essayent de ne pas nous en prendre aux enfants. Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas évident de trouver une proie quand on ressemble à Candy. Comme je l’ai dit plus haut, quand je suis devenu ce que je suis, j’étais hippie, avec les cheveux longs et la barbe.

    Mon souci est que je ressemble à Jésus.

    Oui, oui. Jésus Christ ! Le fils de Dieu. Le mec à moitié nu qui se balance sur une croix dans toutes les églises du monde ! Le mec dont tout le connait la tête même s’il n’est pas chrétien ! Le mec qui incarne le bien, le pardon et tout le tralala ! Le mec qui est l’extrême opposé du vampire !

    C’est à lui que je ressemble. Et pour finir avec le comble du ridicule, car oui ma situation est ridicule, mes transformateurs ont pris soient de m’affliger toutes les stigmates du Christ avant de m’achever ! Ce qui fait que j’ai des trous sur mes paumes de mains, sur le dos de mes pieds, une entaille sur le flanc, des lacérations dans le dos et des piqures sur le front. Que du bonheur !

    Je vous laisse donc imaginer l’épreuve qu’a été mon intégration au monde vampirique. Je fus la risée de tous mes confrères et consœurs. Premièrement, il a fallu que je me débarrasse de ma répulsion pour le sang et que j’accepte de m’en nourrir. Pas facile pour un végétarien. La seconde étape a été me faire accepter par mes congénères. La grande majorité des vampires, surtout les anciens, ne portent pas la religion dans leur cœur et Dieu encore moins. Visiblement, ce dernier existe, mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet. Le seul truc que je sais, c’est qu’il n’a pas forcément grand-chose à voir avec ce que racontent les livres saints. Bien que la majorité d’entre elles ne soient pas vraiment méchantes, les petites remarques désagréables du genre étaient : Jésus, tu touches du bois, Jésus, comment va le paternel, Jésus tu ne me présenterais pas ta mère, Jésus patati, Jésus patata, ont été un vrai calvaire. Et encore, je vous cite les piques les plus sympathiques.

    L’ultime épreuve fut de réussir à « tromper » mes victimes. Pour illustrer mes propos, je vais vous raconter cette mésaventure qui m’est arrivée dans un petit village espagnol. Comme vous le savez peut-être, la religion chrétienne est très présente au pays du Real Madrid. Donc comme je disais, j’étais dans un petit patelin paumé au milieu de nulle part. En plein été, il est généralement facile de se faufiler dans une habitation, mordre discrètement une victime – un vieux la plupart du temps — et de repartir comme si de rien n’était. Ha oui, pendant que j’y pense. L’idée que les vampires ne peuvent pas pénétrer dans les maisons sans y être invités, c’est du bidon ! Il y a pas mal de choses qui sont fausses nous concernant.

    J’arpentais donc les petites ruelles dans l’espoir de trouver une fenêtre ouverte pour aller me nourrir. Bizarrement, il y avait un éclairage public et malgré l’heure tardive, il fonctionnait encore.

    C’est là, ô surprise, que je vois une vieille déboulée d’une maisonnette. Et c’est là que le drame a commencé !

    Pile à ce moment-là, je me trouvais sous le halo d’un réverbère. Vous le voyez, la catastrophe ? Une vieille, un mec qui ressemble à Jésus Christ nimbé de lumière…

    Nous nous sommes regardés un moment, aussi stupéfaits l’un que l’autre. Jamais de toute ma vie, je n’ai vu quelqu’un autant ouvrir les yeux. J’ai bien cru qu’ils allaient tomber. Puis elle s’est mise à trembler de tout son corps. Ses genoux plièrent sous. Ses bras se levèrent dans ma direction. Je peux vous dire que je ne savais comment réagir. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Quoiqu’il en soit, je ne m’attendais pas à cela.

    « Jésus ! » m’a-elle dit les yeux brillants, d’une voix hésitante.  Puis la vielle s’est mise à parler de plus en fort pour en arriver au hurlement !

    Jésus !! Jésus Christ !! Elle répétait sans arrêt ce nom. C’est alors qu’ils sont tous jaillir de leur maison, les villageois. Tout comme je n’avais pas vu cette ancienne sortir de nulle part, les autochtones ont surgi de partout !

    Et moi, toujours dans le halo du lampadaire, je les voyais arriver sans pouvoir bouger. J’étais trop…stupéfait pour bouger le moindre petit doigt. C’est quand j’ai commencé à sentir des dizaines de mains qui me tripotaient un peu partout que j’ai émergé de mon état second. Ce fut alors la panique ! Que faire ? Je n’allais pas exterminer tout un village espagnol parce qu’une vieille bigote m’avait pris pour Jésus Christ ! M’échapper en courant me paraissait une bien meilleure option. Restait à la mettre en place. Une foule d’une centaine de personnes m’encerclait. J’ai alors eu une idée lumineuse (c’est le cas de le dire). J’ai pris un air sérieux. Du moins, le plus sérieux que j’ai pu puisque j’étais assez décontenancé. Comme dans les représentations iconographiques du Christ, j’ai levé ma main droite en signe de paix. Les villageois ont immédiatement cessé de me toucher et ont braqué leur regard sur moi. Puis, comme Moïse l’avait fait avec la Mer Rouge, j’ai ouvert la foule d’un geste de bras. Et par je ne sais quel miracle, ça a marché. Un chemin dégagé était apparu devant moi. J’ai alors marché comme si de rien n’était au milieu de gens. Ils m’observaient avec un étrange mélange de joie, d’étonnement et d’admiration. Beaucoup d’anciens pleuraient de joie.

    Mon objectif était simple : gagner la sortie du village, faire quelque chose pour détourner l’attention de mes « adorateurs » et prendre la fuite. Car, je ne m’y trompais pas, cette bande de mouton me suivrait comme si j’étais leur berger.

    Une fois hors du patelin, je cherchais un moyen de m’éclipser sans que tout le monde ne me voie m’enfuir. Je décidais donc de rester dans mon rôle de fils de Dieu. Je m’arrêtais, je me retournais et je levais le doigt pour désigner un point invisible dans le ciel nocturne. Comme un seul homme, tout le groupe se tourna vers l’endroit que je montrais. Il ne me fallut pas plus de quelques secondes pour bondir dans la forêt qui longeait la route.

    Avec le recul, j’aurai bien aimé voir la tête de tous les gens quand ils ont dû se rendre compte que j’avais disparu. J’ai appris, plus tard que de nombreux pèlerinages avaient lieu dans ce village…

    Voilà le donc le type de mésaventures qui m’arrivent régulièrement. Heureusement pour moi, elles ne sont pas dangereuses, mais me laissent souvent sur ma faim.  

    Pour finir avec ma pauvre condition de sosie de Jésus Christ, je dirai juste que quand j’étais humain – histoire de m’enfoncer tout seul — je m’appelais Jérôme Champion. J.C.


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