• Figure de Proue

    Et voilà mon texte pour le concours du forum Autres Mondes, sur le thème du voyage en mer. J'en suis pas super satisfaites, mais peine un peu avec les nouvelles ces derniers temps....

     


    Figure de proue

     

     

    Les marins sont très prompts à dire que les femmes, sur un bateau, ça porte malheur. Cependant, aucun d’entre eux n’aurait le courage de dire la même chose à mon sujet. Pourtant, ma forte poitrine, dure comme du bois, ne laisse aucun doute sur mon sexe. Mais voilà, moi je ne suis pas une humaine.

    Je suis la figure de proue.

     

    Aujourd’hui, c’est l’effervescence sur le port. La Santa Maria, la nef dont je suis l’humble gardienne, se prépare à partir, en compagnie de deux autres caravelles, la Niña et la Pinta. Un homme, dont le nom m’échappe (je ne suis qu’une statue de bois après tout !) souhaite relier les Indes via le côté ouest du monde. Et il a bien raison ! Mais seulement, il n’arrivera pas là où il souhaite. Si les êtres humains ignorent ce qu’il se trouve là-bas, nous, les figures de proue, nous savons. Les innombrables créatures qui hantent les eaux des océans nous murmurent tant de choses que nous avons connaissance des terres émergées. Chaque île, chaque continent, chaque atoll ou chaque iceberg nous sont connus.

    C’est donc le temps des en revoir sur le quai. Les hommes qui embarquent ne sont nullement rassurés. Pour eux, c’est la fin du monde qu’il y a à l’Ouest. Ils s’imaginent que d’immenses chutes d’eau les conduiront dans le néant… Quelle drôle d’idée. Les humains sont vraiment étranges. D’un autre côté, ceux du continent inconnu de ces chers Européens pensent que les Dieux arriveront de ce côté-ci… S’il seulement ils pouvaient savoir quels malheurs vont leur tomber dessus.

    Donc, je disais que je vais bientôt voir mon ancre remontée et mes voiles larguées. Lors d’un départ comme celui-ci, ou un autre tout ordinaire, les marins regardent toujours vers leur patrie, leur terre. Nous sommes seulement deux à tenter de voir par delà l’horizon : le capitaine et moi. De toute façon, même si je le souhaitais, je ne pourrai pas le faire regarder en arrière. Je suis fixée sur la proue de ma nef, la face vers l’avant. Impossible pour moi de jeter un dernier coup d’œil pour dessus mon épaule. Je ne connais donc pas ce sentiment que l’on ressent quand on est sur le départ, quand on quitte son foyer. À quoi bon se tourner vers ce que l’on connait, quand un monde, un univers ne demandent qu’à être découvert ! Comme un enfant qui franchit une colline pour voir ce qu’il y a de l’autre côté, je suis toujours heureuse de partir à la poursuite de l’horizon. Certes, mes marins sont toujours un peu effrayés ou anxieux, mais c’est parce qu’ils ne comprennent pas le plaisir de ce départ.  

               

                Et voila, l’océan à perte de vue ! Rien d’autre que le bleu de l’eau et du ciel. Les premiers dauphins sont venus surfer à mes côtés. Ils me racontent les dernières nouvelles : naissance de monstres de légende, disparition de navires, résultats des batailles. Au Nord, les orques se portent à merveille. Les mères sont heureuses de leur progéniture, les phoques se sont abondement reproduit, la nourriture est foisonnante. De l’autre côté de l’Afrique, des requins ont dévoré quelques hommes tombés à l’eau. Encore plus loin, un typhon ravage les côtes des petites îles. Tout au Sud, là où la glace est reine, les poulpes géants se sont rassemblés. Ils s’interrogent sur la possibilité de remonter vers le Nord pour s’en prendre à quelques navires. Ah !, ils aiment ça ces petits salopiauds. Saisir les embarquassions pour les entrainer vers le fond et jouer avec les cadavres. Parfois, dissimulés, ils naviguent en compagnie des bateaux sans les couler. Certains d’entre eux aiment passer leurs tentacules collants et gluants sur ma poitrine. Sur ce point-là, ils ne sont pas différents des hommes…

    Sur mon pont, les marins ne sont pas encore trop sur les nerfs. Ils savent qu’il est encore possible de rebrousser chemin vers le vieux continent, comme bientôt ils l’appelleront. 

                Les nuages sont bien noirs. La tempête arrive vite ! Des poissons m’ont avertie de la catastrophe qui venait vers nous. Malheureusement, je ne peux pas donner l’alerte à mes marins. Bon, je sais que la vigie l’a aperçu. Le va-et-vient sur le pont le confirme.

    Les voiles ont été remontés, les cordages resserrer… Elle arrive.  

    La pluie martèle mon bois, tout comme les vagues qui me percutent sur le flan. Le vent est aussi coupant qu’un ciseau à bois. Les hommes se battent pour que le navire garde son cap. Mais cet évènement ne va pas améliorer les relations équipage-capitaine. Les marins pensent toujours aller vers la fin du monde. Si seulement je pouvais leur annoncer que la terre n’est plus tellement loin ! Encore une semaine, voir un peu plus, et ce sera la fin du voyage.

     

                Et voilà ! Elle est là ! La vigie l’a repéré peu avant que les marins ne se mutinent contre Colomb (je me souviens enfin de son nom ! Ah, la mémoire de poisson rouge). La fin du voyage ! Moi, qui n’ai pas le plaisir de regarder en arrière, je suis toujours très émue de voir ma destination. C’est un étrange sentiment d’arriver en un lieu connu que l’on n’a pas vu depuis longtemps. Mais cela est encore plus enivrant quand on ne sait pas où l’on arrive ! Ah, c’est magique ! Tous nos repères sont absents, il faut nous en faire des nouveaux. Mais moi, je ne pourrai pas connaitre la sensation de fouler un sol inconnu (des hommes européens, bien sûr).

                Les chaloupes sont à la mer, les marins s’en vont. Pour moi, le voyage est bel et bien terminé. Je ne peux regarder ces hommes partirent vers un autre voyage…

    « L'Elu de Milnor T.01La Mascarine »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 27 Octobre 2011 à 12:00
    c'est original j'ai bien aimé
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :